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Soufflements
9 janvier 2011

Les chibanis " un patrimoine en voie de disparition"

LeCHIBANIs chibanis, ces vieux hommes qu'on croise un peu partout dans le pays et même dans le vieux continent, en France notamment où ils se sont immigrés depuis des lustres, cette génération d'hommes nés au début du 20e siècle, bien avant l'indépendance dont ils étaient la cheville ouvrière, ces mémoires vivantes, ce trésor inestimable, ces ancêtres ô combien humbles, patients et sobres.

Vêtus souvent d'une Ammama (turban) ou d'une chéchia sur la tête, d'un seroual (pantalon large), d'une veste et d'un gilet sur lequel on peut remarquer la fameuse petite horloge argentée reliée à la poche par une fine chaîne bien visible, synonyme d'un chic d'antan. Les vêtements des chibanis représentent un patrimoine en soi, une icône identitaire dans un pays où on veut nous faire croire que notre identité fait défaut.

Lorsque tu discutes avec un chibani qu'il soit lettré ou illettré, et si tu saurais l'écouter non seulement l'entendre, sache que c'est un livre qui s'ouvre devant toi, un livre d'histoires personnelle et collective et un recueil de saggesses.

Si tu veux apprendre ou récolter des témoignages que tu ne trouveras nulle part dans les manuels scolaires, c'est l'occasion, mais avant cela, il faut que tu te débarrasses des prétentions de ta génération, ne joue surtout pas au moderne, ne lui parle pas d'Internet, des voitures avec GPS, des baskets en vogue, de Missi ou de tes artistes préférés, c'est sans intérêt pour lui.

Pour un Chibani ces tendances modernes sont frivoles et superficielles, lui, il vient d' une autre ère et c'est la profondeur qui prône, c'est l'expérience humaine en toute sa splendeur et son amertume, une expérience acquise à travers les années d'une vie souvent laborieuse, garnie de souvenirs parfois très douloureux . N'oublions pas que nos chibanis ont vécu la 2e guerre mondiale, la guerre de libération et la décennie rouge que l'Algérie a vécue, mais en dépit de cela, ils sont restés debout, fier de leur pays et avec une pureté et une authenticité ô combien rare de nos jours.

Un vieux qui est né au début du siècle dernier dans un douar (hameau) à l'Aurès, à Touat ou dans l'Oranie, dans une époque ou le colonialisme faisait ravage, il n'avait pas la chance d'aller à l'école, car il était tout simplement indigène, pire encore, dés l'âge de 18 ans il se trouvait engager de gré ou de force dans l'armée française. Beaucoup de nos aïeux ont servi de chair à canon durant la Deuxième Guerre mondiale pour combattre le nazisme en contrepartie, on leur a promis, de l'indépendance de leur pays aussitôt le Reich est vaincu.

Des dizaines de milliers ont trouvé la mort dans le front, mais ceux qui ont survecu, ils ont porté les armes contre le colonisateur qui n'a pas tenu sa promesse, ils ont combattu pour leur liberté et celle de leur pays, une guerre à travers laquelle ces jeunes qui sont devenus les chibanis d'aujourd'hui prendront leur destin en main après un siècle et demi de colonisation et d'humiliation.

En évoquant cette période, il me vient à l'esprit le souvenir de mon grand-père (allah yarhmou) que dieu l'accueil en son vaste paradis, lui qui me demandait souvent de jeter la casquette que je mettais sur ma tête souvent quand j'étais adolescent "enlève moi cela yen3al oualdik baghi touali roumi oula "(enlève moi cela que tes parents soient maudits, tu veux ressembler au colon ou quoi), me dit-il toujours quand il me voyait avec la casquette, moi qui voulais être fashion...

Je n'ai jamais compris pourquoi mon grand-père me demandait d'ôter la casquette jusqu'au jour où il nous a raconté comment, lui et beaucoup d'autres Algériens, étaient exploités dans les années 50 par un contremaitre colon dans un chantier où ils avaient pour tâche de creuser un tunnel dans une montagne. " Le colon portait souvent une casquette", nous a-t-il précisé.

C'est seulement là que j'ai compris... Pauvre grand-père, il ne pouvait pas concevoir comment le colonisateur n'a pas réussi durant un siècle et demi à remplacer sa chéchia par une casquette alors que son petit fils, qui n'a pas connu l'atrocité de cette période, a opté de facto pour la casquette !

Dans un monde de mondialisation galopante, la symbolique de cette histoire résume elle seule la problématique de la relation de notre jeunesse à son histoire et à son patrimoine.

Les chibanis, je me lasserai jamais de les écouter, de les provoquer parfois, parce qu'il faut les provoquer pour qu'ils parlent, mais une fois qu'ils parlent c'est tout notre patrimoine qui remonte à la surface d'un présent ô combien en défaut de repères.

Omar Ouagued
Juin 2009

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Commentaires
C
Cet article complétait bien la présentation de HOMMES DEBOUT qui s'installent dans ma ville. Je me suis permis de le reprendre en lien sur http://www.clodelle45autrement.fr/article-orleanoide-2-0-invite-les-hommes-debout-inspires-des-chibanis-lyonnais-121240927.html
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